Interview : Claude Kayat le “Tune” de Stockholm
Né à Sfax en 1939, Claude Kayat est un écrivain prolifique dont l’œuvre romanesque se caractérise par sa remarquable variété. Il vit désormais en Suède. Nous sommes allés à sa rencontre.
TRIBU 12 : Vous êtes né en Tunisie. Quels souvenirs gardez-vous des années passées dans ce pays ?
Claude Kayat : Ce qui m’est resté de plus précieux et de plus durable après ces 16 ans passés en Tunisie c’est indéniablement la langue française, une véritable passion pour moi depuis ma plus tendre enfance. C’est sûrem
ent ce qui m’a le plus manqué lorsque nous nous sommes installés en Israël en 1955 et lorsque je suis venu vivre en Suède en 1958. De la Tunisie, il me reste bien sûr également le souvenir des plats que préparait ma mère, des fêtes juives, de mes oncles, tantes, cousins et cousines, des copains de toutes les religions, Mais c’est surtout le souvenir des piles de romans que j’empruntais à la bibliothèque de l’école et que je dévorais à plat ventre des heures entières qui m’a indéniablement, marqué le plus profondément-
T12 : Paru en 1981, aux Éditions du Seuil, votre premier roman, qui a été récompensé par le prix Afrique Méditerranée, s’intitulait « Mohammed Cohen. Un titre chargé de sens et d’espoir qui laisse espérer une symbiose entre Juifs et Musulmans. Croyez-vous cela possible ?
CK : Il ne s’agit ni d’un programme ni d’une quelconque opinion à caractère politique. J’ai tout simplement tenté de faire revivre (le plus drôlement possible) mes souvenirs liés à la Tunisie, à Israël et à la Suède, tout en me permettant d’inventer de toutes pièces certaines situations (il s’agit après tout d’un roman), le tout narré par un personnage, certes assez proche de moi-même, mais que j’ai imaginé porteur de ces deux identités, profondément ancrées en lui, sans qu’il le vive le moins du monde comme une contradiction.
Oui, une amitié profonde entre certains Juifs et certains Musulmans est à coup sûr possible s’ils sont assez larges d’esprit et s’ils éprouvent sincèrement un fort sentiment d’amitié. Très récemment, j’ai reçu la visite, à Stockholm, de deux jeunes Tunisiens musulmans venus en Suède spécialement pour me voir, et qui m’ont prié de leur signer tous mes romans qu’ils portaient dans leurs sacs à dos. Nous sommes, évidemment restés amis.
T12 : La plupart des Juifs qui ont quitté la Tunisie se sont dirigés vers Israël, la France ou encore le Canada. Vous avez choisi la Suède. Êtes-vous une exception ou y-a-t-il d’autres « Tunes » dans votre pays d’adoption ?
CK : Lorsque je suis arrivé ici, il n’y avait pratiquement pas d’étrangers. Les gens se retournaient presque sur mon passage. Cela dit, extrêmement bienveillants et accueillants. Par la suite, j’ai rencontré de loin en loin à Stockholm un petit nombre de Tunisiens musulmans, mais pas un seul Juif d’origine tunisienne. À ce jour, deux millions d’étrangers sont venus s’installer ici. La situation a donc changé du tout au tout, et pas dans le bon sens, hélas.
Criminalité, trafic de drogues, règlements de comptes. C’est peu dire que je ne reconnais plus la radieuse Suède de 1958 !
T12 : Quel regard jetez-vous sur la communauté juive de Suède ?
CK : N’étant pas pratiquant, je ne la connais pas assez pour pouvoir m’exprimer à son sujet. D’autant plus que les Juifs suédois pratiquent, pour la plupart, un judaïsme de type réformé qui m’est totalement étranger. J’ai connu plusieurs Juifs suédois extrêmement sympathiques, mais je les aurais sûrement trouvés aussi sympathiques s’ils avaient été d’une autre religion.
T12 : Vous venez de publier, aux Éditions France Univers, un ouvrage très original intitulé « Le roman maléfique d’Amédée Charignol que l’on pourrait qualifier
CK : Vincent, jeune professeur de mathématiques marié à Martine, infirmière à la beauté saisissante, lit avec autant d’indignation que de dégoût un roman érotique intitulé « Martine et moi », dans lequel la description de l’« héroïne » correspond exactement au physique, au caractère, aux habitudes de sa femme. Il somme celle-ci de s’expliquer. Elle jure qu’elle n’a rien à voir avec le roman et ignore tout de l’auteur. La jalousie de Vincent devient une obsession. Le gentil professeur sans histoire se métamorphose peu à peu en un Othello maniaco-dépressif. Tonalité dominante : l’humour !