Portrait : Boualem Sansal
le talent en prison

L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est emprisonné en Algérie depuis le 16 novembre dernier. Son avocat, François Zimmeray, à qui un visa pour l’Algérie a été refusé, semble-t-il en raison de sa judéité, a révélé qu’il se trouvait dans une unité pénitentiaire d’un hôpital d’Alger. Le 8 décembre, il a été transféré à la prison de Koléa, à trente kilomètres d’Alger. En invoquant l’article 87 bis du code pénal algérien, on lui reproche par ses écrits et par ses actions, d’avoir porté atteinte à l’unité nationale. Il semblerait que ce soient ses positions sur le Sahara à propos duquel il aurait adopté la position marocaine qui lui a valu cette hargne des autorités algériennes. Le 11 décembre, la demande de libération formulée par ses avocats, a été rejetée par les juges algériens. Finalement, le 27 mars 2025, l’écrivain a été condamné à 5 ans de prison fermes.

 

Nombreuses sont, à travers le monde, dans les milieux les plus divers, les voix qui se sont élevées cotre cette détention aussi arbitraire qu’injustifiée. Parmi elles, celle de la communauté juive de France et, en particulier du B’nai B’rith de France. Boualem Sansal est franco-algérien car après avoir choisi pendant longtemps de garder sa nationalité algérienne d’origine, il a décidé de demander la nationalité française, ce qu’il a récemment obtenu. C’est probablement ce qui l’a incité à se rendre en Algérie sans crainte, se croyant protégé par sa nationalité française. Il est né le 15 octobre 1949 à Theniet El Had dans la région de l’Ouarsenis en Algérie. Son père, Abdelkader Sansal, était marocain. On ne le sait pas toujours mais il faut rappeler qu’avant de se lancer dans l’écriture, il était ingénieur polytechnicien, docteur en économie, chef d’entreprise et haut fonctionnaire.
Sa carrière d’écrivain été fulgurante. On lui doit de très nombreux ouvrages parmi lesquels : Le serment des Barbares.1999, Dis-moi le paradis.2003 et, surtout, Le village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller. 2008.


Cet ouvrage est véritablement emblématique de la pensée de Boualem Sansal car tous les thèmes qui lui sont chers s’y retrouvent :  Rachel et Malrich Schiller, sont nés d’un père allemand et d’une mère algérienne. Leurs parents ont été égorgés lors de la guerre civile algérienne. Les deux frères, en se penchant sur le passé de leur père, vont découvrir que Hans Schiller était un ancien officier SS responsable de l’extermination de milliers de Juifs. Sans oublier 2084. La fin du monde. 2015. Abraham ou la cinquième alliance. 2020 et, plus récemment, en 2024 : Vivre. Le compte à rebours et Le Français, parlons-en. Rappelons qu’en 2018, il a contribué à un ouvrage collectif dirigé par Philippe Val : Le nouvel antisémitisme en France.

Il écrit dans une langue tout simplement magnifique et les prix qu’il a obtenus ne se comptent plus. Quelques exemples : 1999 : prix du Premier roman, 2011 : prix de la paix des libraires allemands, 2012 : prix du roman arabe, 2013 : Grand prix de la francophonie de l’Académie française. Il a aussi été récompensé par le B’nai B’rith et, en 2023, par la Fédération de Paris de la Licra, pour l’ensemble de son œuvre.
La hargne que lui vouent le régime algérien et, d’une façon plus générale, les intégristes musulmans, tient essentiellement à sa critique virulente de l’islam. En fait, s’il n’aime pas l’ensemble des religions, je pense qu’il a fait sienne la fameuse citation de Michel Houellebecq : « Toutes les religions sont cons mais la plus con c’est incontestablement l’islam ». Dans Le Village de l’Allemand, il n’hésite pas à faire un parallèle entre nazisme et islamisme. Le livre sera censuré en Algérie et, la même année, il accepte de participer au Salon du livre de Paris où Israël est l’invité d’honneur ce qui lui vaut des cris d’orfraie des intégristes musulmans. Circonstance aggravante : en octobre 2012, il s’est associé à l’écrivain israélien Vassili Grossman pour lancer l’Appel de Strasbourg pour la Paix.


On ne compte plus ses saillies sur l’islam et sur certains dirigeants arabes : « L’islam est devenu une loi terrifiante, qui n’édicte que des interdits, bannit le doute et dont les zélateurs sont de plus en plus violents »-« Il faut libérer, décoloniser, socialiser l’islam »-« La religion fait peut-être aimer Dieu mais rien n’est plus fort qu’elle pour faire détester l’homme et haïr l’humanité »-« Bouteflika est un autocrate de la pire espèce ».  Ou encore : « L’islam sait s’adapter. Il se fiche de la culture du pays. Il veut juste la détruire afin d’imposer la sienne ». En fait, il partage les positions de Mohamed Sifaoui qui rappelle régulièrement dans ses ouvrages que l’islam se distingue des autres religions monothéistes par des concepts comme la hudna, la trève de mauvaise foi et la taqiia, hypocrisie. D’un point de vue politique, il rejoint le récent prix Goncourt, Kamel Daoud, sur le voile que le régime algérien a mis sur la guerre civile qui dura dix ans à partir de 1999 et qui fit plus de 200 000 morts. Il est aujourd’hui interdit d’en parler en Algérie sous peine d’emprisonnement.


S’il a eu beaucoup de joies dans sa vie, BS a aussi, avant le drame de sa récente arrestation, connu des moments difficiles : ainsi, en 2003, lors du tremblement de terre à Boumerdès, il a été porté disparu et n’a été retrouvé qu’après plusieurs jours. Plus près de nous, depuis 2024, son épouse, Naziha, professeur de mathématiques, est gravement malade et soignée en France.
Si les protestations de responsables politiques ont été nombreuses, il s’est trouvé certains dirigeants pour critiquer l’écrivain. Relevons aussi la position scandaleuse d’Amnesty International qui, avec un culot monstre a déclaré qu’elle refuse de soutenir Boualem Sansal, faute de preuves de sa détention arbitraire. Ou encore celle de Sandrine Rousseau pour laquelle : « Les propos de Boualem Sansal relèvent de l’extrême droite et du suprématisme. Ce n’est pas un ange même s’il n’a pas à être en prison ».

Une chose est sûre il faut obtenir au plus vite la libération de Boualem Sansal. La place du talent n’est pas la prison.

Jean-Pierre Allali